Bovins et céréales
Un article écrit par Doan Bui pour le Nouvel Observateur le 8 mai dernier, et qui a le mérite de faire réfléchir :
"L'élite intellectuelle dans les pays développés trouve parfaitement
normal de s'inquiéter de la surpopulation dans le monde, mais elle
oublie toujours un fait. La vraie surpopulation, c'est celle du
bétail." L'auteur de ces phrases n'est pas un vachophobe excentrique ou
un végétarien fanatique mais l'économiste américain Jeremy Rifkin,
auteur, entre deux essais sur le travail ou les nouvelles technologies,
du passionnant «Beyond Beef», un essai sur l'impact dévastateur de
l'industrie de l'élevage. Surpopulation ? Avec 1,4 milliard de vaches,
notre planète croule en effet littéralement sous le bétail : le poids
cumulé de tous ces ruminants est supérieur à celui de toute la
population humaine avec ses 6 milliards d'habitants ! Et c'est de pire
en pire. La production de viande a été multipliée par cinq depuis les
années 1950, pour passer à 265 millions de tonnes. Et devrait encore
doubler sur les vingt années à venir.
De quoi affoler les experts en alimentation, qui se demandent bien
comment la terre pourra nourrir les 3 milliards d'humains
supplémentaires de ces prochaines décennies. La concurrence entre les
animaux d'élevage et les hommes s'annonce très rude. Car 80% de
l'alimentation animale proviennent de cultures qui conviendraient
également à la consommation humaine : maïs, soja. A l'ère de l'élevage
industriel, nos bêtes accaparent à elles toutes seules 60% de la
production mondiale de céréales, soit 670 millions de tonnes ! Un
volume qui suffirait amplement à nourrir les 850 millions d'êtres
humains souffrant de malnutrition. En fait, d'un point de vue
malthusien, la viande n'est pas «rentable». On estime qu'un végétarien
consomme en moyenne 180 kilos de grains par an alors qu'un consommateur
de viande en gaspille 930 kilos par an. Pour comparer le rendement de
diverses spécialités agricoles, les agronomes calculent un taux de
conversion alimentaire qui correspond au rapport entre le nombre de
protéines consommées et produites. Pour obtenir 1 calorie de poulet, il
faut ainsi environ 4 calories de nourriture végétale. Idem pour le porc
ou les oeufs. Pour le lait, on grimpe à 8. Et pour le boeuf, à 17,
voire bien plus ! En comparaison, la pomme de terre est bien moins
gourmande, son taux de conversion n'étant que de 0,46. Et encore, on ne
compte pas les besoins en eau : pour produire 100 grammes de boeuf, il
faut 25 000 litres d'eau.
Glouton, notre cheptel est aussi expansionniste. Au total, l'élevage et
la production des aliments pour le bétail squattent 78% des terres
agricoles mondiales, soit 30% de toute la surface du globe, trois fois
plus qu'en 1960. «Sur un hectare de terrain, un agriculteur peut
nourrir une trentaine de personnes s'il le consacre à la culture de
légumes ou de fruits. S'il produit des oeufs ou de la viande, le ratio
passe à cinq personnes. Et à beaucoup, beaucoup, moins, s'il ne s'agit
que de viande rouge», dit ainsi Bruno Parmentier, auteur de «Nourrir
l'humanité» et directeur de l'École supérieure d'Agriculture d'Angers.
Le plus insensé ? C'est que toute cette bidoche est en priorité
destinée à 0,1% de la population de la planète, l'infime petite
minorité des riches de ce monde. Notre consommation de viande est
passée de 30 kilos par personne et par an en 1919 à plus de 100 kilos
aujourd'hui. C'est trois fois plus que la quantité préconisée par les
organismes de santé. Non seulement notre régime carnivore affame la
planète, mais il nous tue aussi par la recrudescence des maladies de
«biens nourris» : accidents cardio-vasculaires, diabète, obésité...
Et pour ne rien arranger, il contribue au réchauffement climatique.
Selon un rapport publié en 2006 par la FAO, l'élevage est responsable
de 18% des émissions des gaz à effet de serre. Soit plus que le secteur
des transports ! Avec leurs flatulences chargées de méthane, leurs
tonnes de fumier gorgé de gaz hilarant, le fameux NO2 également des
plus nocifs, sans compter les émissions d'ammoniac synonymes de pluies
acides et leurs déjections qui polluent les nappes phréatiques, nos
charmants bovins sont des périls verts à quatre pattes. L'extension de
leurs pâturages fait des ravages. En Amérique centrale, 20% des zones
sylvestres ont déjà été ratiboisées. Et c'est encore pire au Brésil, où
38% de l'Amazonie ont été sacrifiés pour les bovins. Une déforestation
qui s'accélère avec les immenses plantations de soja destinées à
nourrir nos vaches, toujours elles...